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La BECSC : Une clé pour la stratégie carbone de la France

 

En juin 2023, le Gouvernement français a annoncé une ambitieuse stratégie nationale de capture, stockage et utilisation du carbone (CCUS). Cette initiative vise à capturer 4 à 8,5 millions de tonnes de CO₂ par an d’ici 2030 et 15 à 20 millions de tonnes en 2050. Les objectifs incluent la possibilité d’intégrer du carbone biogénique, une solution prometteuse dans la lutte contre le changement climatique. Cependant, la route vers ces objectifs est longue, et une stratégie claire est indispensable pour réussir.

 

La promesse de la BECSC

La bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECSC) se présente comme une technologie phare dans cette stratégie. En utilisant des sources organiques telles que la biomasse pour produire de l’énergie renouvelable tout en capturant et stockant le CO₂ émis, la BECSC génère des ‘émissions négatives’. Cette technologie est cruciale pour atteindre les objectifs climatiques fixés dans l’Accord de Paris et pour la Stratégie nationale bas-carbone, qui prévoit environ 10 millions de tonnes d’émissions négatives par an grâce à la BECSC d’ici 2050.

 

En 2024, plusieurs évolutions encourageantes sont survenues, tel que la création de l’Association Française pour les Émissions Négatives (AFEN), qui a pour mission de soutenir le développement  d’une industrie d’élimination du carbone innovante. De plus, Carbon Impact, un développeur français de projets d’élimination du carbone, en partenariat avec South Pole, en tant que développeur d’actifs carbone certifiés, et Airfix, spécialiste du transport et du stockage du CO₂, lance près de Nancy le premier projet BECSC sur unité de biométhane en France. Ce projet a pour ambition de séquestrer environ 10 000 tonnes de CO₂ par an, à compter de sa mise en opération prévue pour 2026.

 

La BECSC s’inscrit donc dans le contexte actuel en tant que solution prometteuse pour lutter contre le changement climatique et ouvre de nouvelles opportunités pour façonner des trajectoires climatiques durables. En jouant un rôle important dans l’action climatique, cette technologie offre un double avantage : elle peut produire de l’énergie renouvelable en utilisant des sources organiques telles que les déchets agricoles tout en capturant et stockant les émissions de dioxyde de carbone résultantes. Ainsi, en générant des “émissions négatives”, ou élimination du dioxyde de carbone (CDR en angais), la BECSC contribue à réduire les niveaux de carbone dans l’atmosphère, ce qui en fait une des technologies clés pour atteindre les objectifs climatiques fixés dans l’Accord de Paris.

 

Les défis de la BECSC

Malgré son potentiel, la BECSC fait face à des défis considérables. La principale difficulté réside dans l’absence de demande et de sources de revenus spécifiques pour les technologies de CDR, rendant les investissements risqués et complexes. La chaîne de valeur de la BECSC, impliquant de multiples parties prenantes, rend difficile la répartition équitable des coûts et des bénéfices. De plus, les coûts élevés associés à l’ensemble de la chaîne de valeur, du captage au stockage du CO₂, posent un obstacle majeur à la rentabilité.

 

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Durabilité et disponibilité de la biomasse

La durabilité et la disponibilité de la biomasse sont des aspects cruciaux à considérer dans le contexte de la transition écologique. La biomasse est une ressource limitée et convoitée pour divers usages, de la production de chaleur à la fabrication de biocarburants. La surexploitation pourrait engendrer des conflits d’usage et des impacts environnementaux négatifs. Il est donc crucial de développer des critères d’arbitrage clairs pour une utilisation éthique et durable de cette ressource précieuse.

 

La stratégie nationale de mobilisation de la biomasse en France souligne la nécessité de définir des règles de production de biomasse et d’établir des priorités d’utilisation du CO₂ issu de cette biomasse. À l’échelle européenne, la directive sur les énergies renouvelables et le règlement sur l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie impliquent des critères de durabilité pour l’utilisation de la biomasse pour la BECSC. Il est crucial d’explorer davantage les risques potentiels de compétition pour le CO₂ biogénique et de développer des critères d’arbitrage clairs.

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Monétisation et modèles économiques

Pour surmonter ces défis, il est essentiel de développer des mécanismes de monétisation efficaces pour la BECSC. Le secteur public peut jouer un rôle déterminant en fournissant des incitations financières et en soutenant le développement des infrastructures nécessaires. Les ‘contrats carbone pour différence’ (CCfD en anglais) sont une voie prometteuse. En compensant les coûts additionnels des industries à forte intensité énergétique, ces contrats peuvent rendre les technologies vertes plus attrayantes.

 

Pouvoirs publics

La monétisation de la BECSC sur les marchés réglementés soulève des questions importantes quant à son inclusion dans le système d’échange de quotas d’émission de l’Union Européenne (EU ETS en anglais). L’intégration de la BECSC dans le EU ETS permettrait aux installations de bénéficier de crédits carbone, de réduire leur responsabilité financière et d’améliorer leur compétitivité. Bien que cette intégration offre une incitation économique supplémentaire pour investir dans les technologies d’émissions négatives, favorisant ainsi le développement de la BECSC, cela pourrait également créer des défis.

 

Avec une chaîne de valeur à plusieurs acteurs, la question se pose quant à la distribution de bénéfices. De plus, la BECSC étant une technologie encore émergente, son inclusion dans un système de quotas d’émission existant pourrait ne pas refléter pleinement sa valeur et son potentiel d’élimination des émissions de carbone, car les quotas peuvent être affectés par des facteurs externes et la volatilité des prix. Il pourrait aussi être envisagé d’instaurer un mécanisme de compensation spécifique, axé sur la rémunération des installations de BECSC pour chaque émission négative générée (e.g. crédits d’impôts). Cela permettrait de garantir un soutien financier plus stable et direct, favorisant ainsi le développement de ce marché pour la transition vers une économie à faible émission de carbone. Cependant, la création d’un mécanisme spécifique représenterait une charge administrative supplémentaire. Les deux options devraient être évaluées en détail.

 

Le secteur public peut également soutenir la BECSC par le biais de CCfD. Le concept de CCfD se traduit par des compensations gouvernementales pour les industries à forte intensité énergétique par le biais d’accords de protection du climat afin de couvrir leurs coûts additionnels (OPEX et CAPEX) pour la transition de leur production. L’objectif est de rendre les technologies vertes plus attrayantes pour les industries à forte intensité énergétique. Ainsi, le secteur public agirait comme un partenaire financier, assurant la viabilité économique des projets de BECSC et favorisant leur déploiement à grande échelle. Ces contrats carbone pourraient également être utilisés pour établir des mécanismes de partage et minimisation des risques entre le secteur public et les acteurs privés, renforçant ainsi la confiance des investisseurs et facilitant l’accès au financement pour des projets essentiels dans la lutte contre le changement climatique. Le soutien du gouvernement devrait permettre aux émetteurs d’installer les outils nécessaires pour la capture et de couvrir les coûts associés au transport et au stockage afin de faciliter le déploiement de cette infrastructure.

 

Le Marché Volontaire du Carbone

La monétisation de la BECSC sur le Marché Volontaire du Carbone (VCM en anglais) peut apporter une contribution significative au secteur. Le VCM peut aider à réduire les coûts associés à la mise en place de la technologie BECSC en couvrant partiellement ces frais. Cette assistance financière permettrait de réduire l’impact sur le prix de l’énergie générée, rendant ainsi la BECSC plus compétitive sur le marché de l’énergie et stimulant sa demande (la disponibilité de biomasse durable doit toujours être prise en compte dans cet environnement). De plus, le VCM peut jouer un rôle complémentaire aux subventions publiques, en offrant une source de revenus supplémentaire pour les installations de BECSC. En fournissant des crédits carbone pour les émissions négatives générées, le VCM renforcerait la viabilité économique des projets et encouragerait leur mise en œuvre.

 

Il pourrait être envisagé que le VCM puisse même devenir la principale source de revenus pour la BECSC. En récompensant les installations de BECSC pour chaque émission négative qu’elles génèrent, le VCM offre une incitation financière directe et puissante pour les entreprises à adopter cette technologie innovante. En tant qu’outil important de la transition vers une économie à faible émission de carbone, la BECSC peut bénéficier du soutien du VCM pour attirer des investissements privés et accélérer son déploiement. Le VCM agit ainsi comme un catalyseur pour la croissance du secteur de la BECSC en offrant des opportunités de financement et en valorisant les efforts des entreprises qui contribuent activement à la lutte contre le changement climatique et à la réduction des émissions de carbone.

 

Le VCM n’en est encore qu’à ses débuts et, à l’heure actuelle, des efforts considérables sont déployés dans le cadre de diverses initiatives visant à élaborer, à normaliser et à garantir le respect d’exigences en matière de qualité, de confiance et de transparence (e.g. Integrity Council for the Voluntary Carbon Market).

 

Renforcer la viabilité des projets BECSC en France

Pour renforcer la viabilité des projets BECSC en France, plusieurs mesures spécifiques peuvent être envisagées. Tout d’abord, l’application de subventions publiques est primordiale pour offrir une impulsion initiale à ces projets. Ces subventions pourraient couvrir une partie des coûts de développement et d’installation des infrastructures nécessaires à la BECSC, réduisant ainsi les risques financiers pour les investisseurs privés. Des réglementations spécifiques pourraient également accélérer l’adoption des technologies BECSC en fixant des normes environnementales plus strictes et en instituant des incitations financières pour les entreprises qui adoptent ces technologies.

 

L’introduction de garanties pour réduire les risques inhérents aux premiers projets BECSC est également essentielle. Ces garanties pourraient prendre la forme d’assurances gouvernementales ou de mécanismes de partage des risques entre le secteur public et privé. Elles contribueraient à attirer des investissements en offrant une sécurité financière accrue pour les projets de BECSC, favorisant ainsi leur développement à grande échelle. Enfin, une collaboration étroite entre les différentes parties prenantes, y compris les gouvernements, les entreprises et les organisations de la société civile, est nécessaire pour garantir une mise en œuvre harmonieuse et efficace des projets BECSC en France.

 

Plan d’action pour le développement de la BECSC

Pour que la France puisse exploiter pleinement le potentiel de la BECSC, une feuille de route pour le développement de la filière BECSC doit être établie à l’échelle nationale. Cette feuille de route devrait inclure une évaluation détaillée du potentiel de la BECSC en France, en tenant compte des ressources disponibles en biomasse, des infrastructures nécessaires et des exigences réglementaires. Il est également crucial d’assurer la transparence et la traçabilité tout au long de la chaîne de valeur de la BECSC, en mettant en place des mécanismes de suivi rigoureux pour garantir que les émissions négatives générées sont correctement comptabilisées et vérifiées.

 

Un soutien financier public aux pionniers et aux premiers projets BECSC est crucial pour stimuler le marché. Ce soutien pourrait prendre la forme de subventions directes, de crédits d’impôt ou de mécanismes de financement innovants tels que les CCfD. En offrant un soutien financier initial, le gouvernement peut encourager les entreprises à investir dans la BECSC et à développer des projets pilotes qui démontrent la viabilité économique et environnementale de cette technologie.

 

Enfin, les politiques et les stratégies BECSC doivent être flexibles pour permettre d’intégrer des mesures innovantes pour le développement du secteur. Cela pourrait inclure des incitations fiscales pour les entreprises qui adoptent la BECSC, des partenariats public-privé pour le développement des infrastructures nécessaires, et des programmes de recherche et développement pour améliorer l’efficacité et la rentabilité de la BECSC. En adoptant une approche flexible et proactive, la France peut devenir un leader mondial dans le domaine des émissions négatives et contribuer de manière significative à la lutte contre le changement climatique.

 

Perspectives d’avenir

La BECSC représente une solution prometteuse pour atteindre les objectifs climatiques ambitieux de la France. En 2024, plusieurs évolutions encourageantes sont survenues, tel que la création de l’Association Française pour les Émissions Négatives (AFEN), qui a pour mission de soutenir le développement  d’une industrie CDR innovante. De plus, un premier projet pionnier BECSC est annoncé dans la région de Nancy. Cependant, pour exploiter pleinement son potentiel, il est crucial de surmonter les défis actuels par des investissements significatifs, des mécanismes de soutien efficaces et une réglementation claire. En combinant ces efforts, la France peut jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre le changement climatique et la transition vers une économie durable. Au delà d’atteindre ses objectifs climatiques, la France peut aussi inspirer d’autres pays à adopter des technologies similaires pour un avenir plus vert et plus durable.

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